Là où on me disait violence, j'ai rencontré le
respect. Là où on clamait le " ras-le-bol ", j'ai trouvé
le plaisir et l'énergie du travail en commun. Là où
on dit " problème ", " zone sensible ", j'ai découvert une
jeunesse qui s'interroge sur le monde et sur elle-même. Cette jeunesse,
depuis 15 ans, je l'écoute au sein d'ateliers, et je l'aide à
dire, à transmettre à d'autres le message d'espoir et de
solidarité que les drames médiatisés masquent sans
cesse.
Des drames, il y en a partout, et pas seulement en banlieue. Il y en a dans l'histoire de chaque vie. Apprendre à les traverser, à les transformer en épreuves qui nous rapprochent des autres et de nous-mêmes, et nous inscrivent dans l'histoire des humains, c'est l'apprentissage de la philosophie. Ces philosophes en herbe, c'est en banlieue que je les ai rencontrés. Du questionnement des jeunes de Blanc-Mesnil, qui jaillit en poésie bigarrée, nous avons décidé de faire un film de fiction. Pour faire à la " répression " un pied-de-nez " création ", pour partager avec tous le plaisir du chemin parcouru, pour porter à l'écran un autre regard sur des citoyens méconnus. ADOS AMOR, c'est un film de banlieue? - demandait un journaliste aux jeunes de Blanc-Mesnil. Non, c'est un film tout court. La vie, la mort, l'amour, la dignité, ça n'existe pas ailleurs qu'en banlieue? Dans toutes les villes, des enfants naissent et grandissent. Cette ville de banlieue est à l'image de celles du monde, mais par les individus qui l'habitent, elle porte en elle des dizaines de traditions et de cultures. Cette formidable synthèse culturelle, cette génération d'adolescents est impatiente de la faire. Il suffit de lui en donner les moyens. Zarina Khan
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Le projet de film ADOS AMOR est né à Blanc-Mesnil du
travail effectué pendant l'année scolaire 1995-96 par des
adolescents d'un collège et d'un Lycée Professionnel de la
ville à travers des ateliers d'écriture et de pratique théâtrale
dirigés par Zarina Khan. Ces adolescents sont des jeunes de 15 à
19 ans qui habitent la banlieue et vivent comme beaucoup d'autres dans
toutes les villes de France les difficultés et les joies de cet
âge entre la famille et l'école, entre l'enfance et l'âge
adulte. L'objet du film est de mettre en scène avec eux (ils ont
acquis les éléments de jeu nécessaires) leurs histoires,
leurs problèmes, leurs désirs et leurs interrogations. Cette
jeunesse qui inquiète souvent parce qu'elle est mal connue, qui
subit l'ennui et l'incertitude de son futur, a une âme. ADOS AMOR
conçu et réalisé à partir de leurs histoires
et de leurs mots se propose de la faire découvrir.
Pour mener à bien ce projet singulier, des professionnels de la fiction cinématographique sont réunis autour de Zarina Khan. L'organisation et le calendrier de mise en oeuvre du film sont complètement adaptés au sujet, à la situation des jeunes et à la dynamique créée au sein de la ville de Blanc-Mesnil. ADOS AMOR, de ce point de vue, se développe différemment des longs métrages habituels. La préparation des jeunes aux contraintes du tournage s'est faite en juin 1995 à travers un film vidéo de 9mn réalisé par le réalisateur de ADOS AMOR: François Stuck. S'il en était besoin, ce document a permis d'évaluer la vivacité de jeu des adolescents et la faisabilité du film. La première phase de tournage du long-métrage ADOS AMOR effectuée à la fin janvier 1996 avec toute l'équipe cinématographique garantit la réalité du film auprès des adolescents en consolidantmaintenant leur mobilisation au sein d'un projet qui se développera avec eux durant les mois qui suivent. |
L'action, conformément à cet âge de l'adolescence
se passe " entre deux ". Entre l'appartement familial et les grilles du
collège ou du lycée, dans les rues qui définissent
leur territoire. Le lieu est la ville de Blanc-Mesnil, une banlieue comme
les autres d'où les jeunes qui y vivent ne sortent pratiquement
jamais. Le parti-pris d'éviter au maximum les intérieurs
(classes, appartements familiaux, etc...) répond au besoin de suivremontrer
la vie quotidienne intime de ces adolescents. Les histoires sont leurs
histoires écrites par eux et scénarisées en respectant
au maximum leur authenticité.
Le scénario unifie les histoires multiples d'Assétou qui a perdu le goût de vivretentée par le suicide, de Laïla et Chris amoureux en butte au racisme latent des adultes, de Mammifère qui glisse dans la délinquance, de Tony qui se sauve par la compétition de Boxe Thaï, de Brahim à la recherche de son identité qu'un meurtre accidentel brise dans son élan. Cette unité, c'est l'arrivée de Damir, un adolescent réfugié de Sarajevo qui l'incarne en apportant aux jeunes de Blanc-Mesnil le regard sur eux-mêmes et sur leur avenir. Damir, par son étrangeté et son expérience de la guerre, ouvre l'espace réduit des rues de Blanc-Mesnil sur le monde et donne aux actes de ces adolescents une portée dramatique qui dépasse la simple anecdote. Fiction de 205 minutes, ADOS AMOR est joué par les jeunes eux-mêmes. Le scénario et les dialogues sont conçus pour favoriser au maximum leur libre expression. Ainsi par exemple aux dialogues entièrement écrits sont préférés les indications précises d'intervention des personnages qui permettent aux jeunes de jouer en improvisation chaque séquence. |
L'histoire commence un matin, sur le chemin du lycée. Ce chemin
auquel chaque adolescent donne sa couleur et son rythme. C'est le chemin
des rencontres, des copains, c'est le lieu de la vie entre l'ordre de la
famille et l'ordre de l'école. Ce matin-là dans le LEP Aristide
Briand, comme beaucoup de matins, la répétition et l'ennui
sont là, Mylène manque à l'appel, Brahim rate l'heure
de la rentrée, Mammifère exclu du lycée est refoulé.
Mais l'événement est l'arrivée dans le lycée
d'un jeune réfugié bosniaque : Damir. Il a vu la mort et
son expérience fascine la bande.
A travers le regard neuf du réfugié et par sa confrontation aux lycéens de Blanc-Mesnil, septcinq histoires comme septcinq destins s'entremêlent pour finir et se résoudre dans une fête organisée par les jeunes et leur groupe de musique, fête qui tourne mal, et qui est suivie par l'enterrement d'Assétou qui s'est suicidée. Cet enterrement, loin de délivrer un message pessimiste permet au contraire aux jeunes de surmonter leur angoisse du futur et de réaliser la valeur de la vie et de la communauté qu'ils forment . A leur manière, comme Damir, ils ont grandi en approchant la mort. |
Tous les autres personnages d'ADOS AMOR ont néanmoins chacun une histoire singulière qui détermine leur intervention dans les histoires majeures. Ils forment le cosmos dans lequel les planètes majeures suivent leur course. |
Au bout des différents tunnels, la même lumière.
Après le moment fort de la fête, l'histoire de "ADOS AMOR"
s'achève sur l'enterrement d'Assétou qui rassemble tous les
jeunes. Tous ensemble, ils collectent de l'argent pour offrir au corps
d'Assétou l'ultime voyage qui doit la réconcilier avec son
histoire et ses origines: l'Afrique. La dépouille d'Assétou
va rejoindre celles de ses ancêtres, emportée à pied
par les jeunes dans une procession peu ordinaire jusqu'à l'avion
à Roissy.
Assétou partie, la troupe des adolescents à laquelle se
sont joints des parents traverse une piste où sont rangés
des avions au rebut. Avisant une ruine d'avion ouverte, tous s'y engouffrent
et s'y installent pour jouer dans cette carlingue désaffectée
leur retour sur Blanc-Mesnil: voyage symbolique et comique, porteur au-delà
de la mort, du message final de la réconciliation et de l'espoir.
La chronique de la ville de Blanc Mesnil est ici conçue sur 7
jours. Ce qui est important, c'est le rythme du jour et de la nuit, les
lumières du matin qui se transforment jusqu'au noir de la nuit et
l'idée du recommencement des choses de la vie auquel les personnages
tentent d'échapper avec " l'incident " qui va détourner le
cours normal de la journée, et " l'accident " qui va modifier l'année
ou les années à venir.
Le film se construit sur l'alternance d'un rythme lent, " réaliste ", - les pas d'un écolier sur la route inchangée de l'école - et l'accélération que les jeunes cherchent à provoquer, en eux, café, cigarette, Walkman, accélération du rythme cardiaque, aussi bien qu'autour d'eux, cri, bagarre, casse, comme s'ils frappaient la réalité jusqu'à ce qu'elle délivre le secret qui leur échappe.
Les mises en situation des personnages vont permettre de mettre en valeur leurs différents masques, leurs métamorphoses selon l'espace dans lequel ils se trouvent, l'école, la rue, l'usine désaffectée, la fête, donnant au temps sa dimension de maître d'oeuvre: il est temps de se taire, d'être l'élève sage et discipliné, il est le temps de tout casser, et quelques fois, il est le temps de mourir.
Le présent.
Reste le présent immédiat, le Temps qui oscille entre
l'ennui et la peur, un Présent qu'on a plutôt la tentation
de "griller ", de consommer, vite, au jour le jour, pour que le futur cesse
de nous attendre, de se profiler, ombre sans forme.
Ma couleur.
Je suis né avec ma couleur de peau, le nom que j'ai, et on me
dit que c'est une "appartenance". Est-ce que c'est ce qui va décider
du cours de ma vie ?
La Terre d'où je viens.
Souvent la terre des parents, la terre d'où l'on vient est absente
des souvenirs, source de confusion, mais elle est à découvrir,
à connaître, à reconnaître. Même confuse
et dans le brouillard, elle est une référence, une garantie
d'exister.
Comment respecter ceux qui ne me respectent pas?
Le Non-pouvoir. Mon " non-pouvoir " sur le cours des choses, sur la
vie de ceux qui m'entourent, sur ma propre vie, est-ce une fatalité?
L'indifférence des autres.
On peut mourir sous leur yeux. Ils ne bougent pas. Certains éprouvent
du plaisir.
L'amour des parents.
" Ils m'ont donné la vie "
La blessure du divorce des parents.
Personne ne peut me forcer à aimer mon père plus que
ma mère ou ma mère plus que mon père. Pourquoi les
grands ne parlent pas?
Le premier personnage que les jeunes ont inventé.
Celui qui manque le plus, le " vieux sage " qui en fait serait jeune,
et connaîtrait les histoires du passé et donc la sagesse qui
peut éclairer le présent et l'avenir.
Avec le concours de : La Ville du Blanc-Mesnil. Le Ministère de l'Intégration. La Fondation RATP. La Préfecture de la Seine Saint-Denis. Le Conseil Général de la Seine Saint-Denis. Le Fonds d'Action Sociale. La Mission Ville et Santé. La Protection Judiciaire de la Jeunesse. La Direction Départementale de la Sécurité Publique de la Seine Saint-Denis.
ADOS AMOR a obtenu le Prix Beaumarchais pour l'écriture du scénario.
Avec le soutien de la ville de Blanc-Mesnil et en particulier du Service
Jeunesse de la ville.
Séquence 1 - Assétou
Un moineau s'est posé sur le rebord de la fenêtre d'une cuisine. Il picore et regarde de temps à autre à travers la vitre. Une jeune fille le regarde aussi. Elle est de dos. Devant elle, de l'eau frémit, puis bout dans une casserole, la vapeur monte et la buée nous cache progressivement l'oiseau. Lorsque le bas de la vitre est totalement opaque, l'oiseau s'envole, nous le voyons s'élever dans les airs et la ville du Blanc-Mesnil se déploie sous lui. C'est tôt, le matin.
Dans l'appartement, on peut entendre une femme qui se prépare
à aller au travail, qui bougonne, s'adresse de temps en temps à
la jeune fille qui ne bouge toujours pas devant la fenêtre. "C'est
important de manger le matin... de boire quelque chose de chaud... je rentrerai
tard...passe au supermarché, il y a 50 francs sur la table...Tu
amèneras mon uniforme au pressing. Tu as le temps après l'école...
" La porte claque. La main de la jeune fille se saisit du manche de la
casserole, renverse l'eau bouillante qui crépite dans l'évier
et tourbillonne avant de disparaître.
Séquence 2 - Brahim
L'eau coule cette fois dans un lavabo, pour rien. Le robinet est grand
ouvert. Un jeune garçon s'appuie des deux mains sur le bord du lavabo.
Il est torse nu. Il se regarde dans la glace, attentivement. Quelqu'un
s'impatiente et frappe à la porte. Puis une voix d'homme retentit
" Alors, c'est bientôt fini? Brahim, qu'est ce que tu fous? " Brahim
ne bronche pas, se regarde intensément, comme s'il voulait découvrir
quelque chose d'important. En vain. Il finit par renoncer, prend de l'eau
dans ses deux mains et les referme sur son visage.
Séquence 3 - Laïla
Une femme arabe prépare le café dans la cuisine. Dans
le couloir, entre la cuisine et la chambre, ou l'on peut voir dormir une
très vieille femme arabe, Laïla se maquille les yeux devant
un petit miroir qu'elle tient dans sa main gauche.
Séquence 4 - Chris
Chris enfile son blouson de cuir, il a des cheveux blonds, mouillés
encore de sa douche. Il s'amuse à jeter habilement son livre de
maths et ses cahiers dans son cartable ouvert, le referme d'un geste sec,
lance un " Salut Papa " sonore et ouvre la porte.
Séquence 5 - Mylène
Mylène est allongée tout habillée sur son lit.
Elle a les yeux écarquillés de sommeil. Le réveil
électronique sonne, lancinant. Elle finit par se lever brutalement
et éteint le réveil. Par la fenêtre, elle aperçoit
Sylvain qui attend, et fait les cents pas.
Séquence 6 - Tony
Tony embrasse sa mère qui est assise, désoeuvrée,
dans la pénombre du salon. Il déboule les escaliers de l'immeuble.
Il est fin et blond, il a un sac de sport sur l'épaule, en plus
de son cartable. Il inspire et expire bruyamment, profitant de chaque effort
pour parfaire sa forme physique.
Séquence 7 - La bande de Mammifère
Un pied glisse dans une chaussure, un peigne passe dans des cheveux,
les casquettes se posent sur les têtes, trois garçons finissent
de s'habiller. Mammifère presse les deux autres, remonte la fermeture
éclair de son blouson d'un geste sec, claque dans ses doigts. La
petite bande démarre sa journée.
Le matin
C'est Assétou qu'on suivra sur le chemin de l'école. Elle a décidé que ce matin est le dernier des matins. Elle regarde le chemin si souvent parcouru et aujourd'hui, tout la surprend. C'est l'hiver, le ciel blanchit, la cité s'étale, propre et métallique. Le goût de vivre s'est brisé, ce matin. Sans raison particulière. Juste parce que le temps est vide, qu'il s'écoule trop lentement et qu'elle ne voit pas demain se dessiner autrement. Parce que les copines ne comprennent pas quand elle essaye d'expliquer ce qui ne va pas. Parce que, il y a sept mois, quand elle a avalé les médicaments qui sont sur la table de nuit de sa mère et que les pompiers l'ont réveillée, sa mère a d'abord pensé à " ce qu'on allait penser ". Parce qu'elle en a marre des garçons qui se moquent. Parce qu'elle ne comprend pas pourquoi la vie a commencé et qu'elle s'ennuie. Un groupe de filles la rejoint, on peut y reconnaître Laïla. Elles parlent d'une fête qui aura lieu ce soir et du contrôle d'histoire qui commence à 8 heures. Tony les dépasse en courant d'un pas élastique et cadencé. Elles rient de lui.
Le groupe des filles approche des grilles de l'école. Le proviseur et son adjoint contrôlent les entrées. Ils se frottent les mains. Il fait froid. De la rue en face, arrive Mylène suivie de Sylvain. Ils ne se parlent pas. A l'écart, de l'autre coté de la rue, les trois de la bande de Mammifère discutent affaires avec d'autres, très sérieusement. Il s'agit d'un stock de HI-FI.
La cour de l'école se remplit. On peut voir les profs, à travers la fenêtre de leur salle, ils discutent, fument, et boivent du café dans des gobelets blancs.
Dans la cour, un petit groupe commence à s'énerver. Brahim parle d'un gars qui " arnaque ", et que, s'il lui fait ça à lui, il va le tuer. Une fille l'engueule. Le frère de Brahim l'entend, fonce sur lui " Si tu dois le tuer, je te tuerai avant ". Son frère est surveillant dans le lycée. Brahim en a marre de lui, de son père, d'être surveillé. Il a seize ans, il se sent grand, et on le traite toujours comme un gamin. S'il fait des conneries, c'est parce qu'on ne le lâche pas, qu'il n'a jamais les coudées libres. et de toute façon? lui? si on l'arnaque, il tue.
Les copains le respectent pour ce qu'il dit. Il n'y a que cette fille qui trouve ça nul de tuer quelqu'un et son frère qui veut toujours prouver qu'il a raison et qu'il est le plus fort.
La sonnerie retentit, les mégots sont écrasés par les chaussures. Les couloirs se remplissent, ça gueule. Les chaises crissent dans les classes. Assétou écrit son nom sur la feuille à carreaux, pour le contrôle d'histoire. La cour est vide. La bande de Mammifère se disperse dans la cité en face de l'école. L'un d'entre eux revient vers la grille, à regret, hésite, puis sonne. Le surveillant lui ouvre. Il doit aller chercher un billet de retard. Il demande à voir l'adjoint du proviseur. Il a un problème. L'adjoint est plutôt sympa. Julio lui explique qu'on est presque au milieu de l'année scolaire, qu'il attend depuis un an de rejoindre une classe qui correspond mieux à son âge. Il a 18 ans. Il est avec des " bébés ". Ce n'est plus possible. Son frère qui a deux ans de moins que lui est dans une classe supérieure. C'est vrai, ses résultats sont faibles. Mais c'est tout de même pas sa faute s'il est le dernier de la famille à avoir quitté le Cameroun. Il faut le comprendre, de quoi a-t-il l'air vis-à-vis des autres?
Les questions du contrôle d'histoire portent sur la deuxième
guerre mondiale, les camps de concentration, la déportation, l'antisémitisme.
Brahim triche au fond de la classe et feuillette le livre ouvert sur ses
genoux. Il y a des photos des déportés. Il renonce et referme
le livre.
Midi
Il est midi, dans le gymnase où Tony s'entraîne au Taekwondo. Chris attend qu'il termine et le regarde. C'est son copain. Brahim passe la tête, aperçoit Chris et le rejoint. Ils commentent les progrès de Tony. Il est considéré comme le futur champion. Ils en sont fiers. La bande de Mammifère fait irruption dans le gymnase. Deux d'entre eux prennent Tony à part et lui proposent de l'argent. Ils veulent " s'occuper de lui ". Chris a compris l'embrouille, essaye de s'interposer, mais Tony a déjà pris l'argent et la bande est repartie, marché conclus. Chris tente d'expliquer à Tony qu'il est " engréné ", mais Tony ne l'entend pas et calcule déjà ce qu'il va pouvoir s'acheter comme nouvel équipement.
A l'école, on reçoit un nouveau. Il arrive de Sarajevo.
Au réfectoire, à sa table, on l'assaille de questions.
" Tu es musulman? Tu es Serbe? Tu es Croate? Je suis Damir " répond
le jeune garçon. Il sourit, malgré la pression qui l'entoure.
" Tu as pas mangé depuis longtemps? " Damir cherche le regard d'Assétou
qui ne le voit pas, qui ne mange pas, qui attend que ce jour enfin finisse.
On demande à Damir de parler de la guerre. Il en parle avec humour,
avec pudeur. Dans le brouhaha du réfectoire, tout à coup,
cette table est en silence un court instant. Laura s'adresse à Mylène
" Tu vois, il est tout jeune et il a l'air d'un vieux sage. C'est marrant
". Les autres pouffent de rire, Laura est tombée amoureuse. Elle
s'en défend mollement. A table on parle de la mort, de la force
que ça donne d'être en danger de mort. John signale que eux
aussi, ils sont tous les jours en danger de mort. Même que Mohamed
est mort il y a trois mois et que personne l'a ressuscité. Trois
coup de couteau, pour certains, c'est comme la guerre. Sauf que là,
l'assassin court toujours, l'ennemi n'est pas si facile à cerner.
Si, les skins, on les repère bien. Mais il n'y a pas que ceux là
qui sont racistes, ce serait trop simple, ils sont là partout. Julio
décrit de son doigt tout le réfectoire et au-delà
de la fenêtre, la ville, et revient à la table. " Ils sont
là, ceux qui nous foutent en l'air, ici, tout près ". En
riant, Damir pointe son propre coeur. " Là, il y a ce qui nous fout
en l'air ". Laura applaudit, ravie. Mylène se lève brutalement
" Il y en a, qui ont la chance de mourir " et elle s'en va.
L'après-midi
Laura la suit. Elles sortent de l'école après avoir demandé un billet de sortie à l'infirmière. Mylène ne se sent pas bien, encore une fois. L'infirmière est perplexe. Ses migraines, il faudra faire quelque chose. Qu'est ce qu'il a dit, le docteur? Il faudrait qu'elle voit son père. Personne n'arrive à le joindre. Il ne travaille pas. D'ailleurs, maintenant, Mylène habite chez sa cousine. La famille a trouvé que ce serait mieux comme ça. Le proviseur est déjà au courant. Non, tout allait bien avec son père. Elle peut rentrer maintenant? Voilà le numéro de téléphone de sa cousine. L'infirmière pourra vérifier. Laura a le droit de la raccompagner, elle fera l'aller-retour.
Les deux filles font une halte et s'installent l'une en face de l'autre sur une balançoire, dans le petit parc pour enfants, désert. Elles partagent une cigarette. Mylène n'aime pas sa cousine. Elle n'aime pas habiter là-bas. Mais ça arrange tout le monde.
Sylvain apparaît timidement, il voudrait parler à Mylène en tête à tête. Elle le jette brutalement. Il s'en va, tête basse. Laura tente de persuader Mylène qui la rembarre. Elle déteste les garçons, ils ne pensent qu'à une seule chose. Elle adorait Sylvain, ils passaient des moments supers, et puis il a fallu qu'il essaye de l'embrasser. C'est nul. Elle ne veut plus rien savoir de lui. Et de toutes façons Laura ne peut pas comprendre comme c'est dégouttant. Laura part en courant rejoindre Sylvain qui s'est assis sur une marche. Il ne faut pas qu'il laisse tomber. Ce n'est pas de sa faute si Mylène est comme ça. Ce n'est pas contre lui. Elle a besoin de temps, il faut qu'il s'accroche, ce serait une catastrophe qu'il disparaisse de sa vie. Il faut juste pas la toucher, pas l'embrasser. Même elle sa meilleure copine, elle ne supporte pas, même une bise sur la joue. C'est dur.
De l'autre côté du parc, un homme regarde Mylène,
à demi caché par un arbre. Mylène sent ce regard,
découvre l'homme et se met à courir vers Laura et Sylvain
" On y va? " Elle est essoufflée, ils partent ensemble, elle se
met à parler, très vite de la fête de ce soir, des
musiciens qui vont venir, de téléphoner aux copines. Ses
phrases se bousculent, incohérentes. Là-bas, l'homme a disparu.
Laura va se faire engueuler parce qu'elle n'est pas retournée à
l'école.
La fin de la journée
A l'école, c'est la fin de la journée. Dans les escaliers qui mènent à la cour, on parle de la fête. Brahim commence à dire qu'il va falloir se répartir les filles. Dans la cour, Laïla rigole, entourée de ses copines. Brahim s'arrête avec Chris, Tony et quelques copains. Il commente l'allure des filles, en conseille une tout particulièrement à Chris. Mais il y a malentendu. Chris n'a d'yeux que pour Laïla alors que Brahim lui vente les jambes d'une grande blonde en mini-jupe. Les filles ont repéré le manège des garçons et commentent dans l'autre sens. Chris et Laïla se regardent, Laïla rit, le désir se dessine.
A la sortie, Julio bavarde avec les copains. Il a raté son contrôle d'histoire. " Qu'est ce que j'en ai à foutre des déportés de la deuxième guerre mondiale? Tout ça m'emmerde ". Il donne un coup de pied dans les grilles de l'école. Ses chances de rester au lycée diminuent chaque jour. Et dehors, rien ne l'attend. " Ce qui est important, c'est notre histoire. Pourquoi on ne nous apprend pas notre histoire? T'as une histoire, toi? On n'en ferait pas un livre. Ou tu parles de l'histoire du Cameroun, du Sénégal? Oui, ça, ça m'intéresserait. Tu vois, de savoir d'où je viens, l'histoire de ma terre, quoi! T'es pas français? Elle est là, ta terre. C'est Blanc-Mesnil, ta terre. Mais qu'est ce que tu vas chercher? Ca change quoi de savoir d'où tu viens? Ca t'aidera pas à savoir où tu vas. Tu vas au tas, comme nous ". Ils rigolent. Damir passe tout seul, devant eux. " Et lui, tu crois qu'il sait où il va? Pourtant, il sait d'où il vient et ça a l'air d'être une sacrée merde, d'où il vient. Il n'y a pas que dans la guerre que c'est la merde. T'as qu'à demander à ta mère, à ta grand-mère! Tu veux qu'elles m'envoient chez le docteur? "
Assétou prend le chemin de chez elle. Les filles la rejoignent, l'invitent à la fête. Elle ne pourra pas venir. Sa mère ne veut pas qu'elle sorte. Elle leur fait un petit signe de la main, et presse le pas pour faire le chemin toute seule. Pour la première fois depuis longtemps, elle est impatiente.
Au coins de la rue de l'école, un gars de la bande de Mammifère
embête une " petite ". Apparemment, il lui demande de l'argent. Mais
aujourd'hui, elle n'en a pas. Il n'a pas l'air de lui faire peur. La "
petite " se révèle être un volcan. Le racket, ça
ne prend plus. Alors, pourquoi elle lui en a donné la semaine dernière?
Elle a eu peur, mais depuis, elle a décidé que c'était
fini et que lui, il avait intérêt à avoir peur maintenant
et qu'elle allait lui pourrir la vie s'il continuait. La scène est
plutôt comique. Le grand malabar est décontenancé par
l'aplomb de la gamine qui en a assez de la loi de la terreur. Elle est
martiniquaise et ses petites nattes s'agitent au rythme de sa colère.
La fête
La fête aura lieu. Comme la plupart des fêtes de la cité, elle tourne mal. Ca cogne. Brahim se fâche avec Chris parce qu'il sort avec Laïla. Il l'a prévenu. Elle n'a rien à faire avec un français, d'ailleurs, son père le mettra en morceau et ses frères aussi. Il vaut mieux laisser les gens s'aimer entre eux, ça fait moins d'histoires. Les filles se mettent en colère et défendent le droit à l'amour libre. Elles en ont marre que les garçons commandent à la place des parents et caftent tout ce qu'ils voient. Mammifère s'amuse à orchestrer la bagarre. Laïla et Chris découvrent qu'ils sont prêts à se battre pour s'aimer. Pour la première fois Tony boit de la bière. Il commence à comprendre qu'il n'est plus libre de décider de ses étapes de champion.
Assétou émiette du pain pour la dernière fois sur
la fenêtre de la cuisine. Mais l'oiseau n'est pas là, ce n'est
pas son heure.
Le retour du matin
Au matin, la cour de l'école est pleine et silencieuse. Brahim s'est fait emmené par les flics. Il a tué Mammifère d'un coup de couteau. Il l'avait arnaqué. Il lui a vendu du Henné pour du haschich. C'est une question d'honneur. Il avait dit qu'il le ferait, il l'a fait. C'est juste. Même si c'est lui-même qu'il a tué, même si c'est sa vie qu'il a foutue en l'air. Mylène pleure. L'histoire de Brahim, elle la connaît, mais il n'y aura personne au tribunal pour la raconter, pour raconter comment on perd le goût de vivre. C'est lui qui va être jugé, pas son père, pas sa mère, l'enquête, elle ne porte jamais sur les bonnes personnes, sur l'absence de passé, d'amour, sur le vide des jours qui tue.
Laïla n'est pas là. Son père la garde à la maison jusqu'à ce que cette histoire d'amour se tasse. Tant pis pour l'école. Le père de Chris l'accompagne jusqu'à la grille, il voulait voir " cette fille " pour qu'elle lâche cette malheureuse affaire qui n'arrange personne. Chris serre les dents. L'amour, personne ne peut l'empêcher de vivre. C'est Julio qui a dit " L'Amour, c'est quand le cerveau fait sablier avec le coeur " et on n'arrête pas un sablier; une fois que les grains de sable ont commencé à se frayer le chemin. Ou alors, il faut casser le sablier.
Damir a consolé Mylène. Ils ont parlé de Brahim
et de la beauté des choses de la vie qui continue. Mylène
traverse la cour et va vers Sylvain qui lui tourne le dos, le visage posé
contre les barreaux de la grille. Elle vient tout près de lui. Ensemble,
ils regardent dehors.
L'hiver passe toujours.
Zarina Khan, le jeudi 28 septembre 1995
Un film de Zarina KHAN et François STUCK.
Atelier d'écriture et scénario : Zarina
KHAN.
Musique originale : Pablo BRAVO.
Directeur de la photographie : Maurice GIRAUD A.O.C.
Montage : Annie WAKS.
Mixage : Jean-Guy VERAN. Studio Mac'Tari.
Ingénieur du Son : Frédérique PFOHL.